Question orale de Mme Sobry à Mme Linard, Vice-présidente du Gouvernement et Ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes sur “Censure et culture”
Mme Rachel Sobry (MR). – Selon certains, le monde de la culture serait confronté à une montée de la censure, sous diverses formes. Grand classique du cinéma, le film américain «Autant en emporte le vent» relate différents événements de la vie de Scarlett O’Hara, jeune femme issue de la haute société du sud des ÉtatsUnis. Ce monument de l’histoire du cinéma a récemment subi une censure, notamment de la part de la plateforme américaine HBO et de quelques cinémas parisiens. En effet, le film, qui se déroule à l’époque de la guerre de Sécession, expose certains comportements jugés racistes.
Certains spécialistes défendent l’idée que les œuvres culturelles ne racontent pas seulement une histoire, mais éclairent également le public sur l’époque à laquelle elles ont été créées et la manière dont la société appréhendait certains faits, événements et contextes. Tantôt réaliste, tantôt fantaisiste, le septième art n’en reste pas moins un «art» à part entière.Or, l’art ne consiste-t-il pas aussi dans le fait de casser les codes, de s’écarter du normal, du lisse, du formaté? La liberté de créer, de s’exprimer et même peut-être de choquer risque d’être en danger si on continue à lui imposer davantage de limites.
Madame la Ministre, quelle est votre position quant à ces initiatives de censure dans le secteur culturel?
Selon vous, le «politiquement correct» peut-il mettre en danger la culture et ses libertés?
Comment la Fédération Wallonie-Bruxelles entend-elle veiller à la liberté d’expression et protéger les œuvres d’art et leur contenu?
Mme Bénédicte Linard, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes. – La liberté d’expression est une liberté fondamentale. Elle est énoncée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Notre Constitution belge la protège également, aux articles 19, 24, 25 et 58. La liberté de création artistique en découle.
Cependant, l’exercice de nos libertés comporte également des responsabilités. En effet, la Constitution belge prévoit que nul ne peut se prévaloir de la liberté d’expression pour contrevenir à la loi. En Belgique, trois lois limitent la liberté d’expression: la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, dite loi «Moureaux», la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand pendant la Seconde Guerre mondiale et, enfin, la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. Cette loi rend illégales les discriminations et les incitations à la discrimination, à la haine ou à la violence, en raison de l’âge, de l’orientation sexuelle, de l’état civil, de la naissance, de la fortune, des convictions religieuses, philosophiques ou politiques, de la langue, de l’état de santé, du handicap, d’une caractéristique physique ou génétique ou de l’origine sociale.
La liberté d’expression est fondamentale, mais elle n’est pas absolue. En Belgique, elle est d’ailleurs encadrée par la loi. Je défends le droit de chacun de s’exprimer librement de manière politiquement incorrecte, impertinente, voire subversive, lorsque l’expression, critique ou satirique, interroge et désamorce toute forme de violence, qu’elle soit physique, sociale, économique ou institutionnelle. Le travail culturel est en effet une expression symbolique des divisions de la société, qui évite à ce titre leurs expressions violentes. Si la protection de l’expression d’un groupe culturel dominant est de nature à nuire profondément aux droits tout aussi fondamentaux de minorités, l’imposition de limites peut être légitime. Il ne s’agit alors pas ici de censurer, mais de ménager l’espace d’expression de voix dissidentes, diverses, minoritaires, en reconnaissant les violences sociales implicites qui s’exercent parfois à travers la culture majoritaire, tout public, dominante ou commerciale.
Madame la Députée, vous interrogez la place dans l’espace public d’œuvres passées, qui appartiennent à notre patrimoine culturel et qui véhiculent, par certains aspects, des propos racistes ou discriminants. Vous évoquez le film «Autant en emporte le vent», mais je pourrais aussi évoquer certaines pièces de Shakespeare, la bande dessinée «Tintin au Congo» ou d’autres œuvres. Je ne suis pas partisane d’une censure de ces œuvres. Il me semble toutefois nécessaire de les contextualiser, d’introduire des notices signalétiques et de rendre visible la violence symbolique qu’elles comportent à l’encontre de minorités dont l’expression culturelle est moins visible. C’est d’ailleurs ce que comptait faire la chaîne de télévision payante HBO: le retrait du film «Autant en emporte le vent» ne devait durer que le temps pour la plateforme de réaliser ces éléments de contextualisation.
Je voudrais attirer votre attention sur une censure indirecte, mais bien réelle. Elle nous concerne sans doute davantage que la prétendue censure du politiquement correct: il s’agit de la censure économique du marché, qui provoque de facto un appauvrissement culturel, à travers une uniformisation des productions et une concentration des moyens. Les pouvoirs publics, et la Fédération Wallonie Bruxelles en particulier, en soutenant la création et l’expression citoyenne, l’existence d’espaces de diffusion et le développement de l’esprit critique, favorisent la diversité culturelle, dressent un rempart contre l’uniformisation et favorisent la créativité des communautés. C’est principalement de cette manière que la Fédération favorise activement la liberté d’expression.