Question écrite de Madame Rachel Sobry à TELLIER Céline, Ministre de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal sur ” Le projet de forêt primaire à cheval sur la Wallonie et la France “
Madame la Ministre,
Récemment, un botaniste français, Francis Hallé et les membres de sa fondation sont venus visiter les forêts du sud de la province de Namur. En effet, ils sont à l’initiative d’un projet transfrontalier belgo-français visant à créer une forêt primaire, soit une forêt sans intervention de l’homme et où la nature reprend ses droits.
Ce projet nécessitant un territoire d’environ 70 000 hectares pourrait s’installer à cheval de part et d’autre de la frontière. Une visite forestière a d’ailleurs eu lieu dans la région de Gedinne.
Il s’agit évidemment d’un projet à mener sur le long terme puisque ce sont les générations suivantes qui en récolteraient les fruits, parmi lesquels une meilleure biodiversité, un drainage vertical qui alimenterait les nappes phréatiques en eau pure ou encore plus de photosynthèse.
Les porteurs du projet ont rencontré un grand nombre d’acteurs, parmi lesquels un conseiller du Président Macron, certains pouvoirs publics, le DNF et d’autres naturalistes. Je me tourne vers vous pour vous entendre sur le sujet. Le projet semble en phase avec les différents points de l’accord de Gouvernement relatif à nos forêts.
Quelle position Madame la Ministre défend-elle quant à ce projet de forêt primaire ?
Des contacts sont-ils effectifs entre votre cabinet, les porteurs du projet et les autorités françaises ?
Est-ce envisageable dans le sud de la Province de Namur ? Quel est l’accueil réservé à ce projet par les différents propriétaires forestiers ?
Réponse de la Ministre TELLIER
Il est exact que, depuis quelques mois, les médias belges et français ont régulièrement fait écho au projet de l’association de Francis Hallé qui vise à « faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest ».
Une forêt primaire est beaucoup plus riche en formes de vie (valeur intrinsèque) qu’une forêt secondaire, exploitée, voire dégradée, et, pour certains, considérée comme beaucoup plus belle que cette dernière. En outre, ses bénéfices (valeur instrumentale) ou services écosystémiques sont considérables : captation du CO2, régulation du climat, réserve de biodiversité, reconstitution des ressources hydriques… Une réserve
intégrale de 70 000 ha serait donc susceptible de générer à long terme une biodiversité « maximale », qui serait garante de la stabilité des processus naturels et de la bonne résilience générale de l’écosystème.
Les forêts primaires, à savoir les forêts où l’homme n’a pas ou très peu modifié la structure et les processus écologiques, ont quasiment disparu de tout notre continent. La dernière forêt européenne, proche de cet état, est la célèbre forêt de Bialowieza en Pologne.
Le projet de Francis Hallé interroge nos pays d’Europe de l’Ouest sur notre capacité et notre volonté de redonner suffisamment d’espace et de temps pour que s’installe une nouvelle forêt primaire.
Une visite récente de Francis Hallé dans le Département des Ardennes françaises et en Wallonie se plaçait dans le cadre d’un voyage d’étude exploratoire de l’association, durant lequel des acteurs d’horizons divers ont été invités à une première rencontre de présentation du projet. Diverses visites de terrain, des rencontres informelles et une conférence ont été organisées à laquelle mon cabinet a pu assister.
À ce stade, l’association explore les divers territoires qui pourraient correspondre à son projet, aux quatre coins de la France et de ses frontières. Les rencontres récentes en Ardenne constituent un premier pas, parmi d’autres, vers l’étude de possibilité d’un tel projet.
Si les intérêts d’un tel projet paraissent multiples, sa réalisation concrète se heurte néanmoins à quelques difficultés dans un contexte où la propriété privée est fortement étendue et morcelée. Il n’y a par exemple pas de forêts domaniales de cette étendue en Wallonie ou à proximité. Les communes sont les plus gros propriétaires et le facteur clé pour atteindre une telle surface serait de fédérer beaucoup de communes. En outre, les surfaces forestières appartiennent pour moitié à des propriétaires privés.
Un tourisme autour d’une forêt primaire générerait des revenus sans doute compensatoires du manque à gagner liés au bois et à la chasse. Il est attendu que ces revenus progresseront à mesure que la naturalité du projet augmentera. Cela nécessitera néanmoins un processus long et des négociations difficiles.
Un tel projet nécessite une impulsion des régions d’accueil et l’implication de toutes les parties prenantes. Si la destination du projet se précise, je serai bien sûr attentive à son développement.