Question écrite de Madame Sobry à BORSUS Willy, Ministre de l’Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l’Innovation, du Numérique, de l’Aménagement du territoire, de l’Agriculture, de l’IFAPME et des Centres de compétences sur “Les nouvelles cultures wallonnes”
Monsieur le Ministre,
« La Belgique en route vers d’autres cultures », c’est ce que titrait récemment un quotidien francophone. Il est vrai qu’avec les changements climatiques que nous connaissons et, notamment, des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes, les cultivateurs belges se diversifient.
Il y a un an et demi, j’avais interrogé Monsieur le Ministre à propos de la culture d’herbes africaines. En effet, les agriculteurs éprouvent des difficultés grandissantes à cultiver les céréales traditionnelles de notre pays tant elles nécessitent une quantité d’eau non négligeable. Ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers de nouvelles cultures moins dépendantes de l’eau.
D’aucuns se lancent désormais dans la culture de quinoa ou de bambou. D’après les prévisions, le rendement devrait ainsi être largement supérieur, notamment en raison d’une valorisation variée : alimentaire, mais aussi non alimentaire (paillage, construction, décoration…).
La CRA-W réalise des tests sur des plantes inconnues jusqu’ici chez nous : le blé dur et le tournesol. Ce ne sont évidemment pas les premières recherches en la matière pour la CRA-W. En outre, il m’avait confirmé, il y a un an et demi, que la division Recherche & Développement du SPW avait lancé une réflexion globale quant à la transition vers une agriculture plus adaptée aux changements climatiques.
Afin de faire le point sur la situation, j’ai plusieurs questions à lui adresser.
Où en sont les recherches de la CRA-W et du SPW quant à ces nouvelles/futures cultures en Wallonie ?
Dispose-t-il de chiffres quant à la proportion de cultures « nouvelles » chez nous ?
Celles-ci ont-elles un impact sur les cultures traditionnelles ?
La guerre en Ukraine a-t-elle bousculé ou accéléré les recherches en la matière ?
Quelle est sa vision pour l’avenir de la culture en Wallonie ?
Réponse du Ministre Borsus
L’essentiel de la surface agricole utile en Wallonie, les surfaces fourragères, prairies permanentes, temporaires et maïs représentent +/- 56 % des 740 000 ha de SAU en 2020, et les surfaces céréalières [>90 % pour le bétail] 25 %] est destinée à l’alimentation du bétail, et les alternatives citées (Blé dur, Bambou, Quinoa, Tournesol) concernent surtout l’alimentation humaine directe. Faire évoluer cet état de fait est probablement le principal levier pour autoriser des cultures différentes sur une portion significative du territoire.
Ces nouvelles cultures ont malheureusement souvent des rendements inférieurs, voire largement inférieurs, par rapport aux céréales traditionnelles. Même si elles ont des intérêts alimentaires certains, elles demandent donc une valorisation nettement supérieure pour assurer le revenu agricole.
Le blé dur est effectivement testé depuis 5 ans en Wallonie. On peut espérer un rendement de six tonnes à l’hectare les bonnes années. Cependant, il ne fut que de deux à trois tonnes en 2021. Par conséquent, l’emblavement en 2022 a chuté à environ 200 ha (plus de 500 en 2021). À titre de comparaison, le rendement du froment d’hiver se situe à +/- 10 tonnes à l’hectare, et sept à huit tonnes/ha pour le froment de printemps.
Le quinoa, testé en Wallonie depuis 2012, a été emblavé à hauteur de 100 ha en 2022. Un rendement de 1,5 à 2 tonnes peut être espéré. Lors des années pluvieuses comme en 2021, il chute jusqu’au quart de celui-ci. Il est néanmoins déjà commercialisé pour l’alimentation humaine, notamment sous la marque « Graine de curieux » depuis des années.
Le tournesol est testé depuis seulement deux ans par le CRA-W, et +/-200 ha ont été semés par les agriculteurs en 2022. Les premiers rendements observés s’élèvent à 4-5T/ha de graines durant les bonnes années, mais se sont élevés seulement à 1-2T/ha en 2021.
La piste du bambou n’est pour l’instant pas vraiment envisagée, à l’exception d’une initiative privée (OnlyMoso). Cette plante est une grande consommatrice en eau, elle nécessite d’importants frais d’installation pour n’atteindre la pleine production que cinq ans plus tard. Elle pourrait comporter une multiple valorisation potentielle (alimentation humaine, médecine, cosmétique, ameublement, construction).
D’autres nouvelles cultures sont testées au CePiCOP (centre pilote céréales et oléoprotéagineux) depuis 2018 et notamment pour l’alimentation animale : le pois protéagineux d’hiver, la féverole d’hiver et le lupin doux de printemps, ainsi que le pois et la féverole d’hiver associés au froment d’hiver. Mais également des oléoprotéagineux à diverses fins tels que la cameline (Brassicacée), le soja (légumineuse), le lin oléagineux d’hiver, et des légumes secs pour l’alimentation humaine comme la lentille, le pois chiche, les haricots secs et le fenugrec. En plus du quinoa, le sarrasin est également testé. Les premiers résultats ont été diffusés dans le monde agricole lors des visites des parcelles d’essai (notamment fin juin 2021), mais aucune conclusion ne peut encore être tirée.
Pour assurer leur adaptation au contexte pédoclimatique wallon, plusieurs défis restent à relever, sans oublier le contexte réglementaire : aucun produit phytosanitaire n’est actuellement agréé pour la plupart de ces cultures et les expérimentateurs ont pu constater que plusieurs récoltes avaient été totalement perdues en 2021, vu la quantité de mauvaises herbes, la verse, ainsi qu’une forte appétence de la part des oiseaux. L’impact sur les cultures traditionnelles est négligeable si la surface d’une nouvelle culture n’atteint pas au moins +/- 1000 ha, ce qui n’est actuellement le cas pour aucune de celles citées. La demande actuelle excède largement l’offre, mais les filières ne sont actuellement pas en place.
Quant à l’avenir de ces cultures en Wallonie, outre l’organisation des filières, il est primordial de sécuriser le revenu des agriculteurs, il faut donc adapter le contexte réglementaire pour assurer la protection phytosanitaire et intensifier les tests (seulement 2 ans de recul sur 1 ou 2 sites pour beaucoup de ces cultures). Il faut se rappeler que les cultures se placent dans des rotations de 3-4 ans en agriculture conventionnelle, de 5-10 ans en agriculture biologique, et que c’est tout le cycle de la rotation qui doit être étudié et non une seule culture prise isolément.
De plus, les agriculteurs attendent les dispositions liées à la nouvelle PAC 2023-2027 pour réorienter, si nécessaire, leurs plans de culture, surtout en fonction de la sécurisation du revenu qu’ils pourront en tirer.
L’autonomie lipidique et protéique est un réel enjeu, ceci depuis bien avant la crise ukrainienne, mais celle- ci ne fait que la renforcer, surtout pour le tournesol. Cela implique une re-discussion des accords concernant le soja (l’Europe ne produit que 1/3 de ses besoins en protéines végétales, les 2/3 étant importés essentiellement sous forme de tourteau de soja) et un développement du marché des productions culturales destinées directement à l’alimentation humaine. Rappelons que les légumineuses sont un levier capital à ce sujet, d’autant plus que, de par leur nature, leur culture est beaucoup moins dépendante de l’évolution des prix des fertilisants azotés et donc de l’énergie.
Parallèlement, mon administration met en place un plan de vulgarisation permettant de diffuser vers les agriculteurs un maximum de résultats d’essais et de conseils, pour s’adapter au mieux au changement climatique, et notamment aux sécheresses répétées. Ce plan sera prochainement diffusé via le portail de l’agriculture. Il comportera notamment les résultats d’essais de sorgho réalisés par le CIPF depuis plusieurs années, mais également des contributions d’autres acteurs de l’encadrement comme le Centre pilote Fourrages-Mieux, le Centre de Michamp et le CRA-W.