Questions orales à Mme De Bue, Ministre de la Fonction publique, de l’Informatique, de la Simplification administrative, en charge des allocations familiales, du Tourisme, du Patrimoine et de la Sécurité routière, sur « la procédure relative aux actes et travaux sur les biens patrimoniaux classés » et sur « l’absence de dépôt des comptes par l’Agence wallonne du patrimoine (AWaP) ».
Mme Sobry (MR). – Madame la Ministre, le nouveau Code wallon du patrimoine, entré en vigueur le 1er juin 2019 qui prévoit un corps de règles spécifiques en matière patrimoniale, a pour objectif d’être davantage conforme aux pratiques actuelles et traduit une orientation plutôt tournée vers les usagers, notamment dans un souci de simplicité et de rapidité des processus décisionnels.
En effet, dans le cadre des actes et travaux sur des biens patrimoniaux classés, la procédure s’établit comme suit. Le certificat de patrimoine tombe, mais la demande de permis d’urbanisme est soumise aux avis conformes de l’AWaP et du fonctionnaire délégué à l’urbanisme ainsi que par la Commission royale des monuments et sites. Des réunions de patrimoine sont organisées pour permettre à tous les intervenants de prendre connaissance et de débattre du projet.
Dans les faits, cette procédure prend encore énormément de temps, ce qui porte préjudice à l’avancement de certains travaux qui doivent être réalisés. Même en cas de travaux qui relèvent de l’urgence, une première réunion de patrimoine reste nécessaire pour aboutir à une déclaration de travaux préalable à l’AWaP. Même si je ne doute pas de l’intérêt de cette réunion, il apparaît que cette mesure ralentit toujours le processus.
Quelles mesures pouvez-vous envisager afin de réduire la lenteur de ces procédures ?
Outre les problèmes de fonctionnement général au sein de l’AWaP suite à la fusion entre le Département du patrimoine et l’Institut du patrimoine wallon, d’ailleurs relayés en commission du 21 octobre dernier par mes homologues, il apparaît que l’AWaP n’a pas déposé ses comptes 2018, tel que requis par le décret WBFin du 15 décembre 2011, modifié par le décret du 17 décembre 2015 adaptant certaines dispositions, notamment applicables aux services administratifs à la comptabilité autonome dont l’AWaP fait partie.
Pouvez-vous m’indiquer ce qu’encourt l’AWaP consécutivement à cette absence de dépôt de comptes ?
De manière plus générale, le 21 octobre dernier, vous mentionniez avoir pris connaissance du cahier de revendications rédigé par les agents de l’AWaP, où étaient notamment dénoncés tant le manque de moyens et de personnel que l’inadaptation du Code wallon du patrimoine, entré en vigueur le 1er juin dernier, dont la finalisation dans la précipitation semble engendrer quelques difficultés pour les services chargés de son exécution.
Vous annonciez également que des rencontres avec les agents, les représentants du personnel et le management devaient avoir lieu. Un mois après, pouvez-vous nous dire quel est le fruit de ces démarches et quelles seront les grandes étapes du plan d’action que vous avez annoncé vouloir mener ?
Mme De Bue, Ministre de la Fonction publique, de l’Informatique, de la Simplification administrative, en charge des allocations familiales, du Tourisme, du Patrimoine et de la Sécurité routière. – Madame la Députée, depuis mon arrivée, faire le diagnostic de la situation de l’AWaP a été une de mes missions principales. Le constat que je me dois de poser à ce stade est des plus édifiants, voire consternant. Ce matin encore, j’ai eu l’occasion de rencontrer une délégation nombreuse et diversifiée d’agents de l’AWaP qui a pu le confirmer.
Permettez-moi de vous brosser un bref historique afin de contextualiser tout d’abord les choses.
L’Agence wallonne du patrimoine résulte de la fusion de deux structures : le Département du patrimoine de la DGO4 du SPW et l’Institut du patrimoine wallon. Cette fusion avait pour ambition d’optimiser les moyens de la Région dans la gestion du patrimoine. Elle a été le fruit d’une réflexion durant l’année 2017. Cette fusion a été menée au pas de charge et – j’irais jusqu’à dire parfois – en dépit du bon sens : on s’est préoccupé des peintures de l’édifice, alors qu’il était dépourvu de fondations. Néanmoins, mon prédécesseur a maintenu la date du 1er janvier 2018 pour sa mise en place effective. À ce moment, les agents de l’AWaP ont été contraints de mener à bien leurs missions dans des conditions irréalistes :
– pas d’inspecteur général désigné ;
– neuf directeurs-directions prévus pour 340 agents ;
– à peine quatre d’entre eux étaient en poste au 1er janvier ;
– nombre d’agents ne savaient même pas dans quelle nouvelle direction ils étaient affectés. Il semble que certains d’entre eux ont seulement appris leur affectation lors du déménagement du mois d’octobre 2019, c’est-à-dire plus d’un an et demi après la mise en place de la structure ;
– certains agents répondent à trois directeurs différents ;
– la logistique était et est encore défaillante : pas de système informatique performant, pas de système de gestion comptable, alors que l’AWaP est un SACA, c’est-à-dire une structure administrative à comptabilité autonome.
À cette situation de départ se sont ajoutés des problèmes de gestion quotidienne et de management qui ont conduit à la situation qui nous apparaît aujourd’hui. Permettez-moi de dresser le constat de manière étayée en cinq parties :
– la structure ;
– le management ;
– la gestion comptable et budgétaire ;
– la gestion des dossiers européens ;
– le CoPat et son application.
Une fois ce constat dressé, j’ai l’intention de vous détailler les mesures urgentes et plus structurelles que je compte mettre en place pour, avec l’ensemble des personnes de bonne volonté, redresser la situation.
En ce qui concerne la structure, plusieurs éléments concourent à faire de l’AWaP une structure inefficace, et cela ne tient pas à la qualité des personnes occupant les fonctions de direction. On peut ainsi relever :
– le positionnement particulier au sein et aux frontières de la DGO4 en tant que SACA ;
– la délimitation des responsabilités et des délégations entre l’inspecteur général de l’AWaP et la Direction générale de l’aménagement du territoire, du logement, du patrimoine et de l’énergie ;
– l’absence de coordination forte et structurelle entre les directions que seule une plateforme rassemble à défaut de structure bien définie.
J’ajoute que la création de l’AWaP s’est faite sans réflexion apparente sur sa stratégie puisque les agents de l’AWaP sont répartis sur plus d’une vingtaine de sites.
En ce qui concerne le pilotage et la situation du personnel, ici aussi, le constat est celui d’un fonctionnement perturbé :
– désignation tardive de l’inspecteur général ;
– postes de directeurs pourvus et attribués très récemment, un poste reste d’ailleurs non attribué et une procédure non menée à son terme ;
– des agents dépourvus de responsable direct et/ou de cadre et de directives ; certains agents relèveraient par ailleurs de deux, voire trois responsables. Cette situation a eu, entre autres, pour conséquence de nombreux départs et burnout dans le chef de certains agents.
Il ne s’agit évidemment pas d’un constat que nous aurions fait à la légère ou de manière empirique : comme vous le savez, le SPMT avait été mandaté pour réaliser une enquête des risques psychosociaux. Les conclusions révèlent un mal-être réel. Certains agents de l’AWaP, avec le concours de deux organisations syndicales, ont également rédigé un cahier de revendications. En plus de cela, j’ai rencontré, dans le courant du mois d’octobre, une grande partie des agents au siège de l’AWaP.
En ce qui concerne la gestion comptable et budgétaire, bien qu’étant un organisme à gestion budgétaire autonome, il s’avère qu’après plus d’un an et demi de fonctionnement l’AWaP ne dispose pas de procédures budgétaires, dont certaines parmi les plus élémentaires. Elle n’offre pas de possibilité de disposer, en interne ou vis-à-vis du Gouvernement, d’une vision claire de l’état en temps réel du budget et des dossiers en cours. La cellule comptabilité a été également fortement impactée au niveau des ressources humaines. Il résulte de cela des constats alarmants : des retards importants dans les paiements des créances aux bénéficiaires de subvention. Des entreprises se trouvent de ce fait en difficulté. Certaines conventions de partenariats ont été passées, semble-t-il, sans avoir été soumises à l’Inspection des finances et/ou avec un travail trop sommaire ou partiel quant aux procédures de marchés publics. Cerise sur le gâteau budgétaire, si j’ose dire, les comptes 2018 n’ont pas été clôturés, situation qui ne m’a été communiquée par les services que trop récemment. Vous comprendrez de ce fait que les comptes 2019 ne sont pas près d’être finalisés non plus.
J’ajouterai que les 16 accords-cadres signés, dont la plupart les deux dernières années, pour un montant de plus de 144 millions d’euros, ont été présentés sans mise en relief quant à l’impact sur le budget de l’AWaP. Certains de ces dossiers de rénovation ne sont même pas encore au stade de projet. L’AWaP est contrainte, chaque année, d’engager plus de 13 millions d’euros sur des projets pratiquement inexistants ou à peine débutés. Cette situation amènera l’AWaP à devoir faire face, dans les prochaines années, à un montant astronomique à payer sans aucune garantie sur la disponibilité réelle de moyens financiers.
En ce qui concerne la gestion des dossiers européens, un audit de la cellule « Audit » de l’Inspection des finances pour les fonds européens, la CAlF, a été réalisé. Le rapport définitif nous est parvenu la semaine dernière. Ses constats sont édifiants et corroborent ceux que je viens de vous dresser quant à la situation budgétaire. Les plus flagrants concernent l’absence de procédures quant au contrôle des règles d’éligibilité et de la législation relative aux aides d’État, doublée d’analyses manifestement partielles, voire erronées, sur certains dossiers. La mauvaise cotation décernée par la CAlF à l’AWaP pourrait, sans réaction rapide, porter préjudice à l’ensemble du SPW et de ses projets européens. À nouveau, je dois déplorer que rien, jusqu’à cet automne, n’a été entrepris pour permettre à l’AWaP de tenir ses engagements vis-à-vis des bénéficiaires et de la Commission européenne.
Il est à noter que le système même de subventionnement posait problème dès le départ de la création de l’AWaP. En effet, de manière purement budgétaire, il est pour l’instant impossible de permettre des transferts de la DO 34 vers une AB de l’AWaP. L’AWaP ne peut pas disposer des fonds nécessaires pour payer les créances des bénéficiaires des fonds européens. En d’autres termes, vu le rôle important qu’ont les projets cofinancés en matière de patrimoine, un élément, qui aurait dû être central dans la réflexion sur le type d’organisme à mettre en place, a manifestement été omis ou négligé.
En ce qui concerne le Code du patrimoine et son application, votre deuxième question, comme vous le savez, une autre réforme a été entreprise de front avec le chantier de la création de l’AWaP. Coupler réformes de structure et réformes législatives n’est jamais chose aisée, mais ici nous voyons combien ce choix a pesé et pèse aujourd’hui sur la bonne gestion des dossiers de patrimoine, qui reste tout de même l’objectif premier de toute politique digne de ce nom.
À la lecture du code, en termes de procédures et de demandes de permis, j’ai conscience que celui-ci modifie et multiplie sensiblement les situations dans lesquelles sont requis l’avis du fonctionnaire délégué, soit l’avis conforme, de l’AWaP et de la Commission royale des monuments, sites et fouilles, ainsi que les cas d’enquête publique. La suppression du certificat de patrimoine avait pour volonté de simplifier la procédure et de réduire les délais, mais les autres mesures prises en lieu et place complexifient au final cette procédure, tout en en allongeant les délais, résultats :
– des collaborations rendues plus difficiles entre l’AWaP, les administrations communales, les propriétaires et les architectes. Concernant les deux premiers acteurs, il me suffit de citer l’imbroglio créé par la carte archéologique ;
– un équilibre plus difficile à trouver entre préservation du patrimoine et mesures de sécurité ;
– une contradiction de fait avec les objectifs du CoDT de responsabiliser les acteurs locaux et d’accélérer les procédures, mais aussi avec la politique, voulue par tous, de reconstruction de la ville sur la ville.
Et maintenant ? Ce premier constat sur la situation de l’AWaP étant posé, mon équipe et moi-même avons la volonté de mettre le patrimoine en ordre de marche, aux côtés des agents, des dirigeants et des organisations syndicales. Les objectifs à court terme sont les suivants :
– offrir aux agents de l’AWaP les conditions élémentaires pour pouvoir travailler correctement et retrouver du sens dans leur précieux travail ;
– mettre à plat l’ensemble des procédures budgétaires et comptables, notamment parer au plus urgent de manière à ce que les créances puissent être réglées dans les meilleures conditions et que les comptes 2018 et prochainement 2019 soient clôturés ;
– initier sans délai la réforme du CoPat de manière à rendre le texte praticable pour tous ses acteurs et, surtout, le rétablir dans ses objectifs : responsabilisation des acteurs, simplification des procédures, conformité avec les objectifs patrimoniaux, urbanistiques et territoriaux, tout cela par l’adoption d’un plan d’action reprenant les demandes émanant du cahier de revendications des organisations syndicales, du plan d’action des risques psychosociaux et des propositions émanant du cabinet. Un accompagnement externe est d’ailleurs programmé sous la houlette de mon cabinet.
Aussi, les actions que je mets en place sont les suivantes. Premièrement, un accompagnement de la structure de direction actuelle de manière à professionnaliser et monitorer la mise en œuvre du plan d’action qui a découlé de l’analyse des risques psychosociaux et les actions souhaitées par les agents dans le cahier de revendications, et à accompagner la direction dans la nécessaire professionnalisation de ses réflexes managériaux et la structuration de la coordination entre directions. Il va de soi que cet accompagnement externe ne peut pas conduire à une déresponsabilisation des acteurs en place, au premier chef desquels l’IG et la DG, mais doit au contraire les mettre en condition de réussir la transition. Deuxièmement, une évaluation précise des ressources humaines en lien avec l’identification des besoins, notamment liés à la mise en œuvre du CoPat et à la pyramide des âges. Troisièmement, l’engagement d’un comptable externe afin de veiller à la clôture des comptes 2018 et 2019 et d’appuyer la cellule Budget de l’AWaP afin de mettre en place la culture budgétaire et de formaliser les procédures. Une analyse de la mise en œuvre de WBFin au sein de l’AWaP lui sera également demandée, ainsi qu’un accompagnement lors du contrôle de la Cour des comptes. Quatrièmement, largement, nous procéderons à une analyse juridique et qualitative de l’ensemble des accords-cadres et des conventions, à l’élaboration d’un plan d’action concernant le suivi des dossiers européens en parfaite coordination avec le SPOC, point de contact unique avec l’Europe et l’Inspection des finances, et à une analyse de l’opportunité de conserver le statut de SACA à l’AWaP. Cinquièmement, nous avons déjà initié la réforme du CoPat.
Les analyses sont en cours au sein de l’AWaP, de la Commission royale des monuments, sites et fouilles et de l’Union des villes et communes de Wallonie. En fait, j’ai redemandé des avis compte tenu du texte actuellement en vigueur.
Nous structurerons notre travail en deux temps : un premier temps centré sur l’arrêté d’application et les modifications à y apporter très rapidement, soit en cette fin d’année, soit en tout début de l’année prochaine ; et dans un deuxième temps, la modification du décret durant l’année 2020.
Enfin, je souhaite souligner que, dans ces actions et dans le travail que nous entreprendrons, chacun sera responsabilisé et mis à contribution. Chaque membre de la direction et du personnel bien entendu, mais aussi l’Inspection des finances, naturellement mon cabinet et moi-même. Je ferai régulièrement rapport de l’avancement des travaux devant vous et compte naturellement sur votre énergie positive pour que nous puissions avancer ensemble.
J’ai sans doute excédé, Monsieur le Président, mon temps de parole, mais il me semblait important de refaire le point sur cette situation. Par les actions décrites, je souhaite inscrire une politique patrimoniale à la hauteur de la richesse et de la diversité inouïes de notre Région. J’y déploie toute mon énergie avec le constat rassurant que le patrimoine n’est pas seulement vecteur de nostalgie et d’identité, de polémique, mais surtout fédérateur, vecteur de passions. Il peut aussi et enfin s’appuyer sur un personnel qualifié, passionné auquel nous devons rendre son enthousiasme.